Comment s'assurer une continuité pédagogique à l'ère du confinement ?


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Entretien à distance via l'outil Zoom

Bonjour Atika, je fais cet entretien suite au confinement qui nous a obligé de réviser dans l’urgence nos pratiques pédagogiques. Donc afin de pouvoir avoir une vision d'ensemble de la situation des étudiants sur le plan pédagogique et son suivi par les professionnels de la formation des adultes, je te propose cet entretien qui est enregistré et pour lequel tu m’as donné ton accord.

Oui
Est-ce que tu peux te présenter ?

Je m’appelle Atika, j'ai 37 ans. J'ai travaillé pendant 15 ans dans la vente dans le domaine du prêt-à-porter ensuite j'ai effectué une licence dans les métiers de l'insertion et de l'accompagnement et là je suis en Master 2 PROJTER formation travail et territoires et développement.

Depuis le confinement, quel est ton quotidien ?

Mon quotidien est assez difficile parce que j'essaie de travailler (rire) Je me lève tôt parce que j'ai gardé cette habitude de me lever tôt mais… comment dire ? Je suis atteinte de flemmingite depuis le confinement (rire) Alors je ne sais pas si c'est le fait de ne pas pouvoir sortir mais psychologiquement c'est dur alors j'essaie de m'adapter mais ça se résume entre le ménage, la télé, travailler un peu par ci par là. Occuper sa journée comme on peut.

Comment t'es-tu organisée pour continuer à travailler ? As-tu mis en place un rituel particulier ?

Alors mon rituel. Quand je vais bien psychologiquement, je me lève toujours le matin vers 6h30/7h donc à partir de 9h, je me mets à travailler jusqu’à 13h voire 14h. Parfois j'arrive à continuer à travailler les après-midis, d’autres fois non.

Est-ce que t'as l'impression de subir un grand chamboulement dans ta vie depuis le confinement et qu’en est-il ?

Au début c'était la peur. La peur d'avoir le coronavirus en voyant tous les morts parce que j'étais fixée sur la télé et sur les statistiques. Tant de morts, tant à l’hôpital, tant en réanimation donc j’étais effrayée, j’avais vraiment très peur. Ensuite, je suis passée par une autre phase où c’était plutôt, j’hallucine je n’en reviens pas on se croirait dans un mauvais film. Tu vois les films où tu zappes et que tu te dis que c’est surréaliste ? Bah là non. C’est réel ! Alors là tu en arrives à un point où tu te dis que si tu dois l‘attraper, tu l’attrapes et tu seras tranquille par la suite. Mais oui, c’est très bizarre en fait.

Ces peurs t’empêchent-elles finalement de te projeter sur ton parcours pédagogique et cela expliquerait pourquoi tu as du mal à te lancer ?

Au début oui, franchement, je me suis inventée des symptômes parce que j'ai fréquenté plein de personnes avant le confinement et ces mêmes personnes ont attrapé le coronavirus, donc je me suis créée des symptômes. Je n’arrivais pas à dormir, je comptais les jours un peu comme une femme qui compte son cycle menstruel pour savoir si elle est enceinte ou pas et si elle doit faire un test de grossesse. (rire) Et là, je t’avoue que les quinze premiers jours du confinement je n’étais pas bien pis ensuite c'est passé. C'est plus le fait d'être enfermée qui m’a fait plonger dans une sorte de dépression. Par moment ça va et d’autres pas. Je n’ai rien envie de faire et je ne fais rien de spéciale. Il n’y a pas de motivation.

En tant qu’étudiante possèdes-tu les moyens nécessaires pour poursuivre ton parcours pédagogique de manière optimale ?

Mon parcours pédagogique en termes de documentation, de livre etc… oui. Ensuite, c'est différent quand même. D’être derrière un ordinateur, de suivre des cours enregistrés sur notre ENT (NDLR : Espace Numérique de Travail) Moi je n’ai pas l’habitude, je ne suis pas une personne très connectée, je suis de l’ancienne école (rire) la vieille école. J'aime voir les gens et participer activement aux cours donc cela n’a pas le même impact sur moi. Je vais lire, je vais comprendre mais il n'y aura pas forcément les échanges que j'aurais pu avoir lors des cours. Pareil, depuis le confinement, cela me pose souci par rapport à mon mémoire et mon lieu de stage. Je devais faire une observation participante sur mon lieu de stage mais malheureusement à cause du confinement cela me pose un problème.

Quelles ont été les dispositions mises en œuvre par ton entreprise d’accueil, là où tu effectues ton stage et par l’université de Lorraine pour la continuité de ton parcours ?

Par rapport à mon terrain de stage, j'ai eu ma tutrice au téléphone le premier jour du confinement et elle me faisait part qu’ils n’acceptaient plus les stagiaires à cause du confinement mais depuis je n'ai plus de nouvelles. En tout cas elle ne m’a rien précisé du tout. Après, en ce qui concerne mes entretiens dans le cadre de mon mémoire de recherche, j’ai dû envoyer des messages et contacter les conseillers en insertion par téléphone afin d’effectuer mes entretiens à distance. A mon sens, je pense qu’eux-mêmes sont trop débordés pour le moment pour pouvoir justement s’occuper des stagiaires, d’autant plus que je ne suis pas la seule stagiaire. Il y a énormément de stagiaires autant en travailleurs sociaux, en éducateurs spécialisés, en licences. Il y a beaucoup de personnes en fait et je pense que pour le moment ce ne sont pas leurs priorités. Eux sont déjà assez débordés comme ça.

Peux-tu me rappeler ton lieu de stage ?

C’est au Grand Sauvoy, l’association ARELIA. C’est une association en insertion sociale et professionnelle et mes missions sont de créer des supports pour les réfugiés, des supports pour les aider dans leurs démarches administratives, de santé mais aussi sur la citoyenneté. J’ai dû mettre en place tout un panel d’ateliers.

Comment se passe la continuité pédagogique avec l’Université ?

Ce que je peux en dire c’est que chacun s'adapte comme il le peut et que tout le monde doit se sentir déstabilisé face au confinement. Je trouve que j’ai quand-même de la chance d'avoir la directrice de formation qui est joignable quand on le désire, qui nous a contacté aussi alors qu’elle aurait pu nous faire parvenir par mail ce qu’elle avait à nous dire et c’est la même chose avec mon guidant. Je peux échanger avec lui par mail, par téléphone. On garde un lien mais je sens qu’on ne nous met pas la pression. La compréhension de la situation dans laquelle nous sommes prend le dessus sur le travail prescrit.

Si je reformule, tu ne sens pas un stress venant d’eux, en tout cas ils ne vous en mettent pas plus que vous en avez déjà ?

Oui

Quels sont les outils ou applications que tu utilises pour la continuité de ton apprentissage ?

En termes d’outils ? Vu qu’on n’a pas accès à la BU, il n’y a donc pas de BU (rire) j'ai d’ailleurs gardé un livre ce qui m’a permis de réussir à le lire (rire) c’est déjà un début (rire) Voilà ! Sinon après je vais sur l’ENT mais je n’aime pas y aller car quelquefois ça bug et ça ne marche pas trop. Sinon c’est beaucoup internet : Google, Google scholar et Cairn. Ce sont mes principaux outils

As-tu développé des usages nouveaux ?

Oui avec l’application Zoom que je ne connaissais pas (rire NDLR : application utilisée pour l’entretien) Il y a également les applications pour les visio-conférences avec la faculté, ça aussi je ne connaissais pas. Nous devions aussi effectuer un travail asynchrone via une application que je ne connaissais pas donc j'ai découvert tout ça avec le confinement et je n’y serais pas allée spontanément.

Est-ce que tu juges que tes conditions de travail actuelles sont acceptables ? Pour donner une petite idée, as-tu une connexion internet de bonne qualité, as-tu un ordinateur personnel et qu’en est-il de ton environnement de travail ?

Pas de souci j’ai internet, mon ordinateur et de l’électricité donc tout va bien (rire)

On en a parlé un petit peu au début, je sais que tu as mis en place un petit rituel mais qu’en est-il de tes cours ? Comment t’organises-tu ?

Nous avons un dossier à rendre pour le 18 donc je me suis focalisée dessus mais sinon comme j’ai dit à mon guidant, j’essaie d'avancer sur mon mémoire même si c’est un travail qui normalement doit être structuré. Je travail par envie. Par exemple, je vais me dire aujourd’hui je n’ai pas envie de me creuser les méninges donc je vais faire la retranscription de mes entretiens. Ensuite admettons que je me sentes un peu mieux je vais aller plus dans le fond, à aller chercher des concepts, de réfléchir à quels auteurs je vais pouvoir me référer.

Si je comprends bien tu fonctionnes plus au feeling ?

Oui. J’essaie d’avancer malgré tout

Depuis le confinement, beaucoup de choses ont changé et notamment nos rapports avec nos interlocuteurs. Avec les étudiants, les professeurs, la famille et les amis. Est-ce que pour toi cela a changé également ?

Oui je passe plus de temps au téléphone avec ma famille, avec les amis par message mais ça, ça n’a pas trop changé. On s’envoyait déjà des message en temps normal.

Alors dernière question et pas des moindres. Si tu avais quelque chose à retenir du confinement, ce serait quoi ?

Il y a tout à retenir ! Quand il sera fini c’est parce qu’on sera parvenu à faire baisser l’épidémie et je retiendrai que c’était quand-même une expérience à vivre. C’est quand-même insolite ! Peut-être que dans cent ans, il y aura une autre épidémie puisque apparemment c’est tous les cent ans mais c’est nous qui l’avons vécu. Mais s’il y avait une chose à retenir pour moi ce serait plus par rapport à la gestion de cette crise.

C’est une question que je n’avais pas mais je pense qu’elle est importante. Comment tu vois justement ce « Jour d’après » ? Est-ce que tu as une vision ou des espérances ?

Pour moi, c'est plus une désespérance. Je trouve que c’est malheureux, on est quand-même une des plus grande puissance mondiale et de voir qu’au bout d’un mois, il n’y a toujours pas de masques, toujours pas de tests. En fait on manque de tout, on manque de tout ça. Je me dis que c’est quand-même désespérant et qu’en fait je ne crois pas trop aux promesses que notre cher Président nous fait. Parce qu’il ne va pas les inventer les masques et je me dis le « Jour d’après » le virus sera toujours là et comment on fera justement ? Pour moi ce n’est pas encore fini en fait, l’épidémie ne s’arrêtera pas et on n’est ni protégé et c’est un peu comme si on jouait au poker. Et c’est plus de l’appréhension de se dire que si on l’attrape on pourrait le refiler à quelqu’un qui est fragile, qui n’a pas d’immunité. Ce qui est le cas de trois personnes de ma famille. Je me dis que je peux être à l’origine de complication très grave voire même de leur décès. Le jour du début du déconfinement je me dirais : « Voilà ! enfin on peut sortir, on peut enfin respirer mais on vivra toujours avec cette épée de Damoclès »
pédagogique; parcours; étudiants; professionnels